Berceau de la civilisation européenne – Berceau du bouddhisme européen
La première visite du 16ᵉ Gyalwa Karmapa à son futur siège européen le 21 janvier 1975
(Extrait de Compassion rayonnant)
Pendant son séjour chez les De Swarte (voir ici), le 16e Gyalwa Karmapa Rangdjoung Rigpé Dordjé reçut un appel téléphonique de Bernard Benson, qu’il avait déjà vu brièvement à Paris. Il souhaitait venir pour parler de l’important don de ses terres en Dordogne qu’il voulait lui faire. Benson était un homme assez extraordinaire, un inventeur, qui avait développé entre autres un missile guidé afin d’empêcher les avions allemands de bombarder Londres, et certains disent que c’était presque un génie. Il avait acquis des propriétés en Dordogne en 1961 et s’était rendu plusieurs fois en Inde à la fin des années 1960. En revenant d’un de ces voyages, il dit à sa famille : « J’ai rencontré la personne la plus merveilleuse que je n’aie jamais vue : Kangyour Rinpoché. »[1] À ce moment-là, quelque chose a changé en lui : il a décidé de « fonder un centre international pour la paix, et plus particulièrement il voulait aider les réfugiés tibétains à préserver leur sagesse, leur connaissance et leur culture ».[2] Ses projets ne purent voir le jour, car ils incluaient, au grand dam des autorités locales, la création d’une « enclave tibétaine par le biais de l’exterritorialité » avec son propre passeport et sa propre monnaie.[3] Un peu plus tard, il arriva avec sa femme et ses trois petites filles dans la maison déjà remplie et s’entretint avec Karmapa pendant plusieurs heures. Georgina de Swarte : « Puis, débordant d’enthousiasme, M. Benson quitta la pièce et dit : “ Karmapa prendra un avion demain matin et visitera la Dordogne. “ »
Rigpé Dordjé décida de visiter le terrain de Benson, situé dans une région où les noms de nombreux lieux évoquent les différentes époques du développement de l’homme en Europe[4] et qui deviendrait aussi bientôt le berceau du bouddhisme européen.
Le lendemain, Karmapa partit du petit paradis près de Saint-Étienne et s’envola pour Brive-la-Gaillarde, dans le sud-ouest de la France, où M. Benson et sa famille l’attendaient déjà. De là, Rigpé Dordjé se rendit en Rolls Royce au château des Benson sur les hauteurs de la Côte de Jor.
Pluie bénéfique de bénédictions
Un peu plus tard, les Benson visitèrent avec leurs invités le terrain voisin qu’ils voulaient offrir à Karmapa. À cet endroit, ce dernier désira, comme symbole de la propagation du Dharma dans l’Ouest, dresser un mât avec des drapeaux de prières sur le terrain. Ce qui arriva alors fut un signe très positif de l’intégration de l’enseignement bouddhiste dans la nouvelle culture : deux policiers locaux avaient repéré le groupe depuis la rue voisine et s’étaient arrêtés pour voir ce qui se passait ici. Christian Bruyat :
« Karmapa fit signe aux gendarmes de venir et, comme des enfants, ils lui obéirent. Il leur demanda de tenir les poteaux et ils s’exécutèrent. Dans l’après-midi, il donna des explications sur l’orientation du monastère en pointant du doigt la colline opposée et dit : “ Il devrait être dans cette direction. Et s’il n’est pas construit rapidement, il y aura de très grands obstacles. “ »[5]
Avant de partir du château, Karmapa avait demandé à Bernard Benson d’apporter un parapluie. M. Benson lui expliqua : « Il fait très beau aujourd’hui, vous n’avez pas besoin de parapluie ! » Mais Karmapa insista. Au moment où il bénit le site, Karmapa ouvrit le parapluie, à la grande surprise des gendarmes, car le ciel était bleu et aucun nuage n’était visible. Elvira Benson, à l’époque enfant de cinq ans, se souvient encore aujourd’hui très précisément de ce moment : « Ils se sont probablement dit que c’était très étrange d’ouvrir un parapluie par un si beau temps. » Mais cinq minutes plus tard, ils comprirent : il y eut une légère averse malgré le temps clair. C’est ce qu’on a appelé une « pluie de bénédictions ». Karmapa commenta alors : « Il pleut des fleurs ! »[6] Jigmé Rinpoché explique cette pluie très particulière :
« Certaines personnes ne le croiront peut-être pas tandis que d’autres si, mais ces fleurs disparurent deux mètres avant de toucher sol. Ce phénomène était visible seulement dans un rayon d’environ cent mètres carrés. Pour ceux qui croient fermement aux symboles et au mysticisme, ce signe est d’une grande importance. Les intellectuels, eux, en douteront peut-être. »
Ce n’était pas le seul phénomène propice. Jigmé Rinpoché continue : « Mme Benson trouva un coquillage fossilisé. Au moment où elle l’offrit à Karmapa, des arcs-en-ciel apparurent. »[7]
Rigpé Dordjé interpréta cela comme un signe de très bon augure puisqu’un coquillage semblable avait été trouvé au cours de la construction de Rumtek, et les coquillages symbolisent la propagation du Dharma.[8]
Tous ces bons signes renforçaient la bonne impression que Rigpé Dordjé avait eue de ce lieu. Il commenta :
« C’est exactement l’endroit parfait pour l’établissement du Dharma en Europe ![9] »
Le 16e Karmapa n’était pas le premier grand lama à avoir cette conviction : Bernard Benson avait reçu Dudjom Rinpoché, à Chaban en 1971 et après deux jours de méditation dans la propriété, le chef de l’école Nyingmapa avait déclaré : « Ceci pourrait devenir le centre du dharma dans le monde occidental. »[10] Dudjom Rinpoché, alors qu’il était encore au Tibet, eut un rêve visionnaire d’une région à partir de laquelle le dharma se répandrait très loin, mais il ne savait pas où. Lorsqu’il se rendit en Dordogne, il a compris qu’il s’agissait du pays que sa vision lui avait révélé.[11]
Benson avait proposé à Dudjom Rinpoché de choisir une partie de sa propriété. Karmapa n’en avait pas été informé. Une fois de plus, ses actions contredisent toutes les explications logiques, car, dans son immense clairvoyance – nous ignorons à quels niveaux un Karmapa communique avec ses pairs – Dudjom Rinpoché n’accepta pas le don de l’ensemble des terres, et, poursuit Jigmé Rinpoché, « Karmapa choisit uniquement la partie que Dudjom Rinpoché n’avait pas prise ».[12] Les terres de Benson abritent aujourd’hui aussi deux centres Nyingmapa, chacun avec un centre de retraite traditionnelle de trois ans.
La brève visite de Karmapa en Dordogne établit les bases de son futur siège européen. Selon Bernard Benson, il déclara finalement : « Un grand monastère sera construit ici, qui deviendra le centre du Dharma en Occident. »[13]
(Notes en bas du page).
Extrait de Compassion rayonnante, tome 1.
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Sud-Ouest, 22 janvier 1975
[1] Anne Benson dans : Return to Gandhi Road – a documentary on Kangyur Rinpoche. http://www.ReturnToGandhiRoad.com/
[2] Entretien avec Anne Benson, 2014.
[3] « … solution pratiquement inapplicable », selon Bernard Lebeau qui était l’avocat responsable du projet, dans son récit Disciples du Karmapa – Il y a dix ans... dans : Tendrel, Revue de Dhagpo Kagyü Ling, No. 15, 1987.
[4] Comme p. ex. l’époque magdalénienne, micoquienne ou moustérienne. Non loin se trouve la grotte préhistorique célèbre de Lascaux, que Karmapa visita en 1977.
[5] Interview avec Christian Bruyat, Peyzac-Le-Moustier, 2013. Cependant, la mise en œuvre du projet de monastère fut retardée et les obstacles ne tardèrent pas : comme aucun permis de construire n’avait pu être obtenu, en 1984 des terrains furent achetés en Auvergne pour construire des temples, des centres de retraite et des monastères sous la direction de Guendune Rinpoché. L’ouverture de la bibliothèque souhaitée par le 16e Karmapa n’a pu se faire avant 2013 en raison de toutes ces difficultés.
[6] Interview avec Christian Bruyat, Peyzac-Le-Moustier, 2013.
[7] Jigmé Rinpoché, conférence lors de l’inauguration de l’Institut, juin 2013.
[8] Récit d’Anne Benson, 2014.
[9] Jigmé Rinpoché, conférence lors de l’inauguration de l’Institut à Dhagpo Kagyu Ling, 2014. Guendune Rinpoché expliquait plus tard que la perception d’une pluie fine ou d’une pluie de fleurs dépendait de l’ouverture ou de la réalisation de chacun.
[10] Guillebaud, Jean-Claude: M. Benson met le Tibet en Périgord, Le Monde, 20/11/1976.
[11] Jigmé Rinpoché, conférence lors de l’inauguration de l’Institut, loc. cit.
[12] Ibidem.
[13] Guillebaud, Jean-Claude: M. Benson …, loc. cit.